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Un an de féminisme avec Justin Trudeau

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Author: 
Lanctôt, Aurélie
Format: 
Article
Publication Date: 
15 Oct 2016
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EXCERPTS

En mars 2016, lors d’une conférence d’ONU Femmes à New York, Justin Trudeau séduit les progressistes du monde entier en affirmant qu’il proclamera haut et fort son féminisme jusqu’au jour où cela « ne suscitera plus qu’un haussement d’épaules ». Après une année au pouvoir, c’est à peu près la réaction que suscite l’engagement féministe de notre photogénique premier ministre. Trudeau a composé un cabinet paritaire et a mis sur pied une enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées. Saluons-le. Toutefois, les gestes posés pour améliorer les conditions de vie générales des Canadiennes déçoivent.

Les libéraux ont joué du tambour bien fort pour vanter les investissements et la création d’emplois inscrits dans leur premier budget. C’était de bon augure pour les Canadiennes, qui sont en moyenne plus pauvres que leurs concitoyens et plus nombreuses à être au chômage ou à occuper des emplois précaires. Toutefois, il n’est pas clair que les emplois promis bénéficieront aux femmes.

Des investissements inadéquats

Kate McInturff, chercheuse au Canadian Center for Policy Alternatives, souligne que 88,5 % des emplois qu’on créera dans les deux prochaines années se concentrent dans des secteurs à prédominance masculine, et il n’y a pas d’investissements prévus dans les secteurs où les femmes sont majoritaires. On peut donc craindre que seule une modeste proportion des emplois créés bénéficiera effectivement aux femmes. Pourtant, ce sont elles qui en auraient le plus besoin pour améliorer leur taux d’emploi et corriger les écarts de revenus entre les sexes.

Le budget prévoyait aussi une somme de 500 millions de dollars pour la création d’un « cadre national pour la garde des enfants ». Toutefois, rien ne garantit pour l’instant que les fonds seront utilisés pour propulser la création d’un système de garderies national accessible et universel, conçu comme une responsabilité collective à l’égard des familles, plus particulièrement à l’égard des jeunes mères, et non comme un simple service client. À ce chapitre, on pourrait avoir des surprises amères.

On se réjouit de l’investissement de 89,9 millions sur deux ans dans le soutien des refuges pour femmes victimes de violence. Toutefois, l’enveloppe dont dispose Condition féminine Canada (CFC) pour financer les projets de prévention de la violence est bien mince, ce qui est un choix curieux, alors que Justice Canada estime que la violence faite aux femmes coûte annuellement plusieurs milliards à la société canadienne.

Société civile mal financée

Quant aux groupes de femmes, qui forment l’épine dorsale de la promotion de l’égalité d’un océan à l’autre, ils sont loin de trouver leur compte. On a prévu investir 23,3 millions sur cinq ans pour renforcer CFC, mais après le véritable saccage orchestré par le gouvernement Harper, c’est trop peu pour restaurer la capacité d’agir du ministère.

Par ailleurs, et c’est là où le bât blesse, CFC persiste à offrir aux organisations admissibles du financement par projets ciblés. Or, cela a pour conséquence désastreuse de placer des groupes déjà affaiblis et débordés en compétition les uns contre les autres, pour des fonds de toute façon insuffisants. De plus, on coupe ainsi les ailes de ces groupes, qui ne peuvent plus définir, planifier leur action à long terme, enfermés qu’ils sont dans les critères de financement étroits et sans grande vision.

Les groupes de femmes sont les organisations de la société civile les plus mal financées au Canada. Leurs employées sont les moins bien payées de tous les organismes communautaires. Pourtant, ce sont les forces vives de la promotion de l’égalité et du féminisme. Or, la bienveillance féministe de Trudeau sera vaine si celles et ceux qui font avancer l’égalité sur le terrain sont à bout de souffle et de moyens.

Si Trudeau veut faire la preuve que son féminisme n’est pas qu’une affaire de marketing, il devra faire plus, et faire mieux. Sinon, les haussements d’épaules se transformeront vite en franche colère.

-reprinted from Le Devoir 

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