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Faire garder bébé au Cameroun pour pouvoir travailler à Québec?

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«À un moment donné, je me suis dit : est-ce que le dernier recours est de voyager, aller au Cameroun, laisser le bébé là-bas et revenir ici pour aller travailler?»
Author: 
Bossé, Olivier
Format: 
Article
Publication Date: 
17 Jun 2021
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EXCERPTS

La larme coule doucement sur sa joue. Elle l’essuie du doigt, puis arrête un instant pour reprendre son souffle.

Dans la poussette, le beau gros garçon de 11 mois et une semaine se réveille doucement de sa sieste. Il ouvre les yeux, regarde vers sa mère et tend sa petite main potelée en sa direction.

Il n’a aucune idée de toute l’anxiété qu’elle vit depuis deux semaines. Depuis que son congé parental a pris fin, le 30 mai, et qu’elle demeure incapable de lui trouver une place en service de garde pour pouvoir reprendre le travail comme infirmière à l’hôpital Jeffery Hale.

La Camerounaise d’origine préfère rester anonyme au public, par crainte de nuire à l’obtention de sa résidence permanente.

Mais mercredi, alors que le ministre québécois de la Famille, Mathieu Lacombe, tenait la première de ses deux journées de consultation nationale sur les services de garde éducatifs à l’enfance, Le Soleil a rencontré la résidente du secteur Limoilou dans un parc. À l’initiative du député du coin, Sol Zanetti, de Québec solidaire, que la dame a contacté en désespoir de cause.

Un stress constant

«Quand on se couche le soir, c’est toujours le même stress. Puis encore la même chose le lendemain, tu ne sais pas si tu vas trouver une place... Je ne sais plus comment l’exprimer», laisse tomber la mère monoparentale, qui a aussi un garçon de 15 ans.

«Milieu familial, privé, subventionné ou non subventionné, CPE : non», a-t-elle énuméré, pour signifier que ses recherches ont ratissé large. Elle a étendu son périmètre de recherche jusqu’à Charlesbourg et Saint-Sacrement, son lieu de travail.

«Je risque de me retrouver dans une situation que je n’imaginais pas. Même si je me mets à l’aide sociale aujourd’hui, ça ne va pas résoudre mon problème parce que mes charges sont supérieures à ce que j’aurais comme revenus», calcule-t-elle, à bout de ressources.

Son adolescent, qui a suivi son cours de gardien averti en mars, pourrait être sollicité plus vite que prévu. Maman envisage, à contrecœur, de se tourner vers les agences de placement de personnel du milieu de la santé pour trouver du boulot selon des horaires plus flexibles.

Agences dont, rappelons-le, le gouvernement tente de limiter le champ d’action au minimum.

Au Jeffrey Hale, où elle a droit à un sans solde jusqu’au 5 novembre 2022, ses collègues «à bout» aimeraient bien la voir revenir au travail le plus vite possible. Ne serait-ce que pour atténuer un tant soit peu la pénurie d’infirmières qui plombe cet établissement comme tout notre système de santé.

«Il faut résoudre ce problème [de manque de places en services de garde] avant de résoudre le problème de personnel dans le réseau de la santé, parce que l’un est le noyau de l’autre», selon elle.

À 14 heures de vol

Ce n’est pas comme si elle avait tardé avant de s’organiser ou encore été trop sélective.

Elle a inscrit son deuxième fiston au guichet unique de La Place 0-5 ans avant même sa naissance, dès avril 2020.

En parallèle, question d’ajouter les bretelles à la ceinture, elle a monté un dossier pour faire venir sa sœur du Cameroun afin de l’assister avec le bébé. Tout cela en pleine pandémie.

Ses deux plans n’ont toujours pas abouti. Et les revenus ont cessé.

«Je me retrouve, comme : qu’est-ce que je fais?» lance-t-elle, à court de plans de rechange.

C’est là qu’elle a même pensé à envoyer le poupon chez sa sœur, au Cameroun, le temps de trouver une place en garderie ici. Mais la situation sanitaire mondiale l’en décourage.

«C’est vraiment déchirant! On est en situation de pandémie. C’est un risque énorme d’aller laisser mon enfant dans un environnement où le plateau technique [médical] n’est pas adéquat. On est à 14 heures de vol, sans compter le temps d’escale. Donc même s’il y a une urgence, je ne peux pas me lever le lendemain pour aller chercher mon enfant!»

Campagne de mobilisation

Le député d’opposition Zanetti et son parti se lancent dans une campagne d’envoi massif de messages aux ministres Lacombe, Eric Girard (Finances) et Geneviève Guilbault (Capitale-Nationale). Mobilisation qu’ils souhaitent populaire pour décrier le manque de places en services de garde dans la région, où Québec solidaire compte deux de ses 10 députés.

«La pression citoyenne peut marcher», a dit M. Zanetti, évoquant une campagne similaire initiée par son parti au sujet des terres des Sœurs de la Charité, à Beauport. «En augmentant la pression citoyenne, avec les élections qui arrivent l’an prochain, il y a une chance qu’on puisse obtenir tout de suite de la CAQ qu’elle mette les bonnes ressources», ajoute l’élu solidaire.

Il insiste : le ministre Lacombe doit «envoyer un signal clair et valoriser la profession d’éducatrice». Dans ce secteur aussi, une part importante du problème tient au manque de travailleuses. Québec solidaire réclame une hausse salariale «d’au moins 20 %» pour les éducatrices.

M. Zanetti précise que les besoins sont encore plus criants qu’ils n’y paraissent dans sa circonscription de Jean-Lesage, pourtant classée par le ministère comme en déficit moyen de places, donc exclue du dernier appel de projets.

Parce que la circonscription affiche le revenu médian par ménage le plus bas au Québec, on a besoin de plus de places et surtout de places abordables, martèle-t-il. Le tiers des places dans Jean-Lesage sont non subventionnées et peuvent coûter plus de 60 $ par jour, avant remboursement d’impôt.

«Il y a vraiment péril en la demeure. Il y a urgence, prévient le député Zanetti. Et on sait que les gens de Limoilou et de la Capitale-Nationale en général peuvent se mobiliser là-dessus et envoyer un message clair.»

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