EXCERPTS
Depuis le 1er janvier 2021, les couples qui divisent de façon plus équitable le congé parental entre les deux conjoints ont droit à des semaines de prestations additionnelles. Cette mesure incitative a-t-elle poussé plus de pères à prolonger leur congé à la suite de la naissance de leur enfant ? Bilan un an après la mise en place de cette mesure.
Francis Rousseau et Karina Colagrosso ont toujours eu une vision très égalitaire de la famille. Lorsqu’ils ont appris que le petit William grandissait dans le ventre de la jeune femme, il leur était évident qu’ils se partageraient le congé parental. « C’était super important pour moi de prendre ma place en tant que papa », affirme Francis Rousseau.
Le père a donc pris huit semaines de congé à la naissance de son fils qui a aujourd’hui 5 mois. Il en prendra cinq autres d’ici la fin de l’année. En se divisant le congé parental, la famille a pu bénéficier des semaines additionnelles de prestations du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP).
Ce temps d’arrêt avec sa famille a permis à Francis Rousseau de saisir la charge de travail que représente un nouveau-né.
"C’est une job à temps plein. Moi, je suis retourné travailler, mais ce que Karina fait à la maison, c’est beaucoup plus grand que ce que moi, je fais à la job. J’ai pu en prendre pleinement conscience en ayant ce congé-là."
Francis Rousseau, père ayant opté pour le partage du congé parental
Au Québec, les familles admissibles au RQAP ont le choix entre deux options : le régime de base ou celui particulier. Choisi par plus de 75 % des familles, le régime de base offre 18 semaines de congé de maternité, 5 semaines de congé de paternité ainsi que 32 semaines de congé parental partageables entre les deux parents. Depuis le 1er janvier 2021, lorsque chaque parent prend huit semaines de congé parental, quatre semaines de prestations s’ajoutent.
« C’est une mesure incitant les pères à s’investir plus dans la sphère familiale », explique en entrevue le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, Jean Boulet.
"Depuis l’entrée en vigueur de cette mesure […], on estime que 3000 familles supplémentaires se sont partagé en 2021 les prestations parentales. J’en suis bien fier."
Jean Boulet, ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale
« Les jeunes papas avaient tendance à se limiter à la prestation qui leur était consentie », poursuit le ministre, en faisant référence au congé de paternité. La possibilité d’obtenir des semaines additionnelles de prestations vise à inciter les familles à partager le congé parental entre les deux conjoints, ce que moins du tiers des familles choisissaient de faire avant 2021.
Père de Victor, trois ans et demi, et de Léandre, un an et demi, Maxime Pearson se réjouit de la bonification du RQAP. « La situation au Québec, on peut en être fiers. Les pères sont très impliqués dans la cellule familiale », croit celui qui est derrière le blogue Nouveaux Pères avec son ami Samuel Tremblay. De fait, la province compte parmi les chefs de file en matière de politique familiale à l’échelle internationale, selon l’UNICEF.
Le duo de blogueurs très actif sur Facebook croit toutefois que plus de pères prolongeraient leur absence du travail après la naissance de leur bébé si le gouvernement bonifiait le nombre de semaines pouvant être prises exclusivement par les pères. « C’est un pas dans la bonne direction, mais c’est comme si on avait fait un demi-pas au lieu d’un pas de géant », pense Samuel Tremblay, père de Marguerite, trois ans et demi, et de Lambert, 16 mois.
"Les chiffres démontrent déjà que lorsqu’on donne des semaines partageables, pour le moment, le père se sent moins légitime de prendre ces semaines-là. […] On parle encore de la mère qui “donne ses semaines”, du papa “qui prend les semaines de la mère”… Même dans notre façon d’en parler, cette impression persiste."
Maxime Pearson, du blogue Nouveaux Pères
Conditions gagnantes
« Le congé parental a toujours été vu comme une extension du congé de maternité, tant au Canada qu’au Québec », confirme Sophie Mathieu, chercheuse postdoctorale à l’Université TELUQ, dont le travail est axé sur les politiques familiales.
Selon les recherches internationales, deux conditions doivent être réunies pour que les hommes prennent congé à la suite de la naissance de leur enfant, explique-t-elle. Premièrement, ce doit être payant.
"Les hommes continuent de se voir comme étant des pourvoyeurs, même dans des sociétés plus égalitaires."
Sophie Mathieu, chercheuse postdoctorale à l’Université TELUQ
Une partie des semaines de congé parental n’étant payées qu’à 55 %, cela n’est pas suffisant aux yeux de nombreux pères. Sans compter que certaines familles ne peuvent pas se priver d’une partie du plus grand salaire du ménage, qui est encore souvent celui de l’homme.
Deuxièmement, le congé ne doit pas être transférable à la mère, affirme Sophie Mathieu, qui est aussi enseignante au département de sociologie du cégep du Vieux Montréal. Samuel Tremblay peut en témoigner. L’impression d’enlever des semaines de congé à sa conjointe l’a incité à ne pas prendre un long congé parental. « Si les semaines avaient été réservées exclusivement au père, c’est clair que je les aurais prises », affirme-t-il.
Réaction de l’employeur
Certains hommes craignent aussi la réaction de leur employeur. « La recherche montre qu’au Québec, les gens s’attendent à ce que le père prenne le congé de paternité. Il y a une acceptation des employeurs. C’est la norme. Au-delà de ça, ce n’est pas très bien perçu », explique Sophie Mathieu.
Travaillant dans le domaine de la construction, Francis Rousseau en sait quelque chose. « Ç’a vraiment été mal vu », résume-t-il, précisant toutefois que l’avis de son employeur n’allait en rien changer son intention de passer du temps avec son nouveau-né.
D’ailleurs, si le papa de William a adoré les huit semaines passées avec sa famille, il s’attendait à créer un lien plus rapidement avec son bébé. « Au début, j’étais seulement efficace à m’assurer que ma conjointe soit bien, à ce qu’elle ne manque pas de nourriture, à ce que le ménage soit fait. Pour ce qui était des besoins de l’enfant, c’était plus difficile à combler. »
« En 2022, on se dit qu’on veut être égalitaires, que l’homme peut faire autant que la femme. Mais finalement, le quatrième trimestre, ce n’est pas ça du tout. Il y a des moments où William ne voulait que moi. Encore des fois, il ne veut que moi. Ça, ç’a été un gros choc pour nous », confie Karina Colagrosso.