EXCERPTS
Le personnel éducateur accueille et accompagne les jeunes enfants et leurs familles dans les centres de la petite enfance (garderies), travaille dans les centres ON y va et dans les classes de maternelle et de jardin. Ce sont quelques rôles occupés par les éducateurs et les éducatrices. Depuis longtemps, nous parlons d’une pénurie de personnel qualifié dans nos services de garde et nos centres de la petite enfance francophones : ça ne date pas d’hier.
Au cours des derniers mois, cette crise s’est amplifiée, surtout chez les francophones. Des entrevues, dans le cadre des Petites jasettes pédagogiques, ont permis au personnel éducateur et aux gestionnaires de s’exprimer pour présenter leur réalité du secteur. Nous savons que la construction identitaire commence dès la naissance, donc, un manque de services en petite enfance francophone affecte directement la vitalité franco-ontarienne!
Que signifie être membre du personnel éducateur dans un service de garde aujourd’hui?
C’est d’appuyer l’enfant et la famille dans plusieurs sphères de leurs vies et de leur développement. C’est de créer des relations bienveillantes et attentives et des opportunités de socialisation et d’apprentissage. C’est le réseautage et la collaboration, le perfectionnement professionnel, la pédagogie, les arts, les contes, l’imaginaire, les repas ensemble, les premières dents perdues, les premiers pas.
C’est aussi…
De recevoir un salaire modique, de travailler de longues heures, d’avoir des services continuellement interrompus à cause des absences des enfants et du personnel. C’est de consoler l’enfant en crise quand il laisse sa maman pour la première fois. Elle aussi, elle est émotive et elle ne peut compter sur l’expression bienveillante du personnel éducateur, cachée sous un masque. C’est aussi d’égratigner un enfant par accident en changeant sa couche et d’avoir des conversations courageuses avec ses parents pour expliquer que c’est la visière qui en est la cause. C’est de vivre régulièrement de l’insécurité linguistique, de devoir trouver une remplaçante pour aller aux toilettes et de remettre des rendez-vous personnels à trois reprises, car on ne peut pas s’absenter du travail.
C’est d’avoir des lignes directrices, des cadres et des normes impossibles à suivre dans les circonstances actuelles. C’est de payer une cotisation annuelle à un Ordre qui ne cesse d’augmenter ses exigences. C’est de faire partie d’une société qui ne reconnait pas nos services comme étant essentiels, qui dévalorise le domaine et qui nous oublie trop souvent dans ses remerciements. C’est de travailler pendant 10 heures pour ensuite retourner à la maison, prendre soin de ses propres enfants, de s’endormir avec eux, croulant sous la fatigue extrême pour ensuite se lever et recommencer le lendemain.
Comment peut-on s’attendre à ce qu’une personne qui a cet horaire, cette charge et ces conditions de travail soit en bonne santé? En santé suffisante pour appuyer le développement de petits êtres humains complexes et en évolution?
Un service essentiel
Tout le long de cette pandémie, les centres de garde n’ont jamais été considérés comme «essentiels». Mais comment les services «dits essentiels» pourraient-ils fonctionner si personne ne s’occupe de leurs enfants?
Le domaine de la petite enfance est historiquement un domaine de femmes. Avec la création de comités d’hommes en petite enfance, nous voyons une petite augmentation de présence masculine dans le secteur. Par contre, le pourcentage d’hommes dans le domaine demeure très bas. La présence des hommes en petite enfance est pourtant un atout.
Ils ne sont pas attirés par ce secteur pour plusieurs raisons : l’image de la profession dans notre société et l’une des raisons principales semble être le salaire. Les salaires en petite enfance sont vraiment sous la norme en éducation et plus spécifiquement dans les services de garde. Est-ce la valeur que la société donne au travail du personnel éducateur? Ces personnes sont la fondation du système éducatif à un moment crucial du développement de l’enfant. Et surtout, le fait que cette profession soit tellement en demande.
À la base de l’Ontario français
Maintenant que nous avons un portrait juste de la réalité en petite enfance, parlons de cette crise et comment elle affecte directement notre vitalité comme Franco-Ontariens.
La petite enfance (0 à 6 ans) est une période critique pour l’exposition et l’acquisition d’une langue, c’est une période incontournable dans la construction identitaire. Les enfants dans les services à la petite enfance francophone sont les futurs élèves des écoles de langue française, qui deviennent les futurs membres du personnel éducateur francophones, qui deviennent des parents francophones… et le cycle recommence.
Qu’est-ce qui arrive quand nous devons fermer de plus en plus de centres et de services en français dans la province à cause d’une pénurie de personnes qualifiées et à cause des conditions de travail? Où vont nos petits francophones quand leurs communautés ne peuvent pas offrir des services de qualité en français en petite enfance? Souvent, le parent doit choisir entre un service de qualité et un service dans la langue et la culture qu’ils désirent.
Les personnes œuvrant en petite enfance sont avant tout passionnées. Leur raison d’être est l’enfant! Ce n’est certainement pas la paye, les heures, le statut ni les conditions de travail qui les allument le matin. Ce sont les relations!
Donc, c’est quoi, être une éducatrice ou un éducateur franco-ontarien en 2022? Présentement, c’est de voir sa passion, sa raison d’être, son domaine, sa culture, sa langue, sa sécurité et sa santé s’écrouler et c’est d’être trop épuisé pour se battre pour améliorer les choses!
J’espère qu’avec le programme national de garderies, le plan de l’Ontario sera de considérer le rôle essentiel du personnel éducateur en proposant des salaires qui reflètent leur travail. J’espère que les décideurs prendront le temps de réfléchir au rôle essentiel de nos services. J’espère qu’ils penseront à inclure des jours de vacances, des jours de maladie et du temps personnel nécessaire à la santé du personnel. J’espère qu’ils prendront en compte qu’en situation minoritaire, notre rôle est essentiel à la vitalité de la francophonie.