EXCERPT
À des concierges.
En vertu de la grille de comparaison créée pour l’équité salariale, c’est le métier qui sert de référence.
Une éducatrice gagne en moyenne près de 34 000 $ à ses débuts. Soit environ autant qu’un préposé à l’entretien ménager, et moins qu’une technicienne en soins animaliers (37 000 $) ou qu’une caissière de banque (35 650 $)1. Et ce, malgré l’immense responsabilité des éducatrices dans le développement des tout-petits, qui est censé être une priorité.
Qu’on ne s’étonne pas après de la pénurie.
Alors que Québec négocie avec les éducatrices en CPE, la solution est simple : payez-les et elles viendront.
Mais en ce moment, c’est le contraire qui se passe. Elles sont sous-payées, et elles s’en vont.
Le Québec se dirige vers un mur. En fait, beaucoup de parents vous diront que ce mur, ils sont déjà en train de se cogner la tête dessus. Leur garderie leur demande de déposer leur enfant plus tard le matin et de venir le chercher plus tôt en fin de journée.
Parfois, ils doivent le garder à la maison. On leur dit : « Désolé, mais il n’y a personne pour s’en occuper. »
Pourvoir les postes vacants ne suffira pas. Car il n’y a pas seulement une pénurie d’éducatrices. Il manque aussi de places. Il faudrait accueillir au minimum 37 000 enfants de plus, avec les embauches additionnelles d’éducatrices que cela suppose.
La profession doit donc devenir plus attractive. Or, c’est le contraire qui se passe. Les inscriptions au diplôme d’études collégiales ont chuté de 40 % depuis 2013.
Les éducatrices disent encore aimer leur métier. Elles le font pour travailler avec les enfants, mais elles exigent une considération minimale.
Bref, ça ne fonctionne plus.
***
Tout cela, c’était avant la COVID-19.
Les choses se sont aggravées depuis. Des éducatrices s’absentent, quittent la profession ou songent à le faire2.
Pour compenser la pénurie, le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, s’est engagé dans une dangereuse spirale.
Auparavant, les deux tiers des éducatrices d’une garderie devaient être titulaires d’une formation collégiale. Ce ratio a été baissé à un tiers durant la pandémie. Il vient d’être ramené à une sur deux. C’est mieux, mais cela demeure moins qu’avant.
De plus, la formation exigée a aussi été revue à la baisse. Pour qu’une éducatrice soit incluse dans ce ratio, le diplôme complet n’est plus requis. Une attestation d’études collégiales suffit (une année d’étude).
Cela nuit à la qualité des services et à la satisfaction des éducatrices. Elles doivent passer une partie de leur temps à former ces recrues, tout en sentant que leur diplôme n’est pas pris au sérieux.
Bien sûr, M. Lacombe ne le fait pas par plaisir ou par négligence. Il essaie de son mieux de garder les places ouvertes. À court terme, c’est sans doute un moindre mal.
Et le ministre tente aussi d’attirer de nouvelles candidates. En avril, il a débloqué 64 millions pour payer la formation d’éducatrices (15 $/h durant leurs cours), en plus de bourses d’études et d’une campagne de promotion.
Reste que le nivellement par le bas risque de créer un dangereux cercle vicieux. Des éducatrices pourraient changer de boulot. Avec le manque de main-d’œuvre, ce n’est pas le choix qui manque.
Pour un meilleur salaire, elles peuvent faire le ménage dans une entreprise – un métier noble, sans doute, mais qui ne comble pas un besoin urgent de société.
Et si elles veulent garder un contact avec les enfants, elles peuvent devenir techniciennes en service de garde scolaire. Le salaire de cette profession était 17 % plus élevé, et l’écart se creusera davantage avec l’entente conclue avec leur syndicat jeudi.
***
Cette histoire rappelle celle des infirmières ou des préposées aux bénéficiaires.
Il s’agit de métiers féminins, dont les conditions de travail semblent inversement proportionnelles à leur importance sociale. Des postes restent vacants. La qualité des services en souffre, et toute la population est perdante.
Ironiquement, cela survient alors que le Canada anglais nous utilise comme modèle pour implanter un programme national de garderies.
Avec les préposées aux bénéficiaires, François Legault avait court-circuité les négociations avec les syndicats pour créer une formation rapide et rémunérée. En quelques mois, il aura réussi à en mettre au travail près de 10 000. C’est une des grandes réussites de son mandat.
Lors de la création du réseau en 1997 par Pauline Marois, le gouvernement péquiste avait accepté de faire un rattrapage salarial massif. On avait compris que sans éducatrices, les CPE resteraient des coquilles vides.
Un quart de siècle plus tard, l’heure est venue de redresser de nouveau la barre. Mais malheureusement, c’est mal parti, une fois de plus, à cause des négociations pénibles. J’y reviendrai lundi.
1. Ces chiffres viennent de la note préliminaire d’un rapport de la firme Perreault Conseil que j’ai obtenue. Elle a été commandée par l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE), qui ne participe pas aux négociations.
2. Selon une consultation web réalisée par le mouvement Valorisons ma profession auprès de 3669 répondantes, une éducatrice sur deux songe à quitter le métier d’ici trois ans. Le sondage n’avait pas de valeur scientifique et il mesure une intention hypothétique. Mais il donne néanmoins une petite idée de l’état des troupes.