EXCERPTS
Annabelle Boivin a un garçon de quatre ans qui n’a jamais fréquenté de service de garde. Elle a fait une demande d’inscription en maternelle 4 ans pour l’an prochain, dans la même école que sa grande sœur.
Elle y a joint une référence de son médecin de famille qui recommande l’entrée à l’école pour favoriser son développement social et affectif.
Or, son garçon n’a pas été sélectionné lors du tirage au sort. Au centre de services scolaire des Mille-Îles, dans les Laurentides, les enfants sont choisis par pige lorsque la demande dépasse le nombre de places disponibles en maternelle 4 ans.
Les enfants provenant de milieu défavorisé sont priorisés, comme c’est le cas pour le fils de Mme Boivin, mais aucun autre critère n’est pris en compte.
«Comment ça se fait que les besoins des enfants ne sont pas pris en compte? Quand on se réfère à la mission de la maternelle 4 ans, il me semble qu’on s’égare», laisse tomber cette maman qui s’explique bien mal cette «loterie».
Au cours des dernières années, le gouvernement Legault a justifié à maintes reprises le déploiement de la maternelle 4 ans en affirmant qu’il y avait «urgence» de rejoindre les enfants qui n’ont pas accès à un service de garde.
Après avoir contesté cette décision, Mme Boivin a toutefois appris récemment que son garçon aura finalement une place en maternelle 4 ans l’an prochain, à la suite d’un désistement.
Les règles n’ont toutefois pas changé, ce que déplore cette maman de jumelles de trois ans qui craint de revivre le même scénario l’an prochain, si le hasard ne fait pas bien les choses.
Au centre de services scolaire des Mille-Îles, la porte-parole Mélanie Poirier s’est contentée d’indiquer que la politique d’admission «a fait l’objet d’une consultation dans tous les conseils d’établissement ainsi qu’auprès du comité de parents».
Le nombre de groupes est limité par le manque de locaux alors que la clientèle est en croissance, ajoute-t-elle.
Pas un cas isolé
Il ne s’agit toutefois pas d’un cas isolé puisque d’autres centres de services scolaires, comme celui des Trois-Lacs, fonctionnent aussi par tirage au sort parmi les élèves qui habitent sur le territoire desservi par l’école.
Marie-Claude Bastide a un jeune garçon qui ne pourra aller à la même école que ses trois frères et sœurs l’an prochain, même si la maternelle 4 ans y est offerte, puisque la fratrie n’est pas priorisée lors du tirage au sort.
Or, plusieurs autres centres de services ont des politiques d’admission différentes pour la maternelle 4 ans.
Dans plusieurs écoles, les enfants ayant une référence d’un professionnel sont priorisés, tout comme ceux qui n’ont pas fréquenté de service de garde. À certains endroits, la fratrie est aussi prise en compte.
Un tirage au sort est par la suite effectué parmi les autres enfants, si des places sont toujours disponibles, peut-on lire sur le site web de plusieurs centres de services scolaires.
TIRAGE AU SORT: UNE SOLUTION PARESSEUSE ET INJUSTE, SELON UN EXPERT
Accorder des places en maternelle 4 ans selon un tirage au sort sans tenir compte des besoins des enfants est une solution «de facilité et de paresse», qui est «véritablement injuste», selon un expert.
Jean Bernatchez est professeur en administration scolaire à l’Université du Québec à Rimouski. Les tirages au sort basés uniquement sur le lieu de résidence de l’enfant n’ont pas leur place, affirme-t-il.
«Ce n’est pas juste de procéder de façon aléatoire. Il y a des jeunes qui ont des besoins beaucoup plus grands, qui n’ont pas accès à des services éducatifs en milieu de garde et c’est pour répondre à leurs besoins que les maternelles 4 ans ont été créées», rappelle-t-il.
Or, il n’est pourtant «pas très compliqué» de procéder à une évaluation des besoins des enfants, puisqu’il s’agit d’un processus qui ne nécessite pas de grandes ressources, ajoute-t-il. D’ailleurs, plusieurs centres de services ont fait le choix de retenir plusieurs autres critères prioritaires.
Christa Japel, professeure à l’UQAM spécialisée en développement de l’enfant, est aussi préoccupée par ce type de pratique. «On ne priorise pas les enfants qui ont besoin de socialisation et ça m’inquiète beaucoup», dit-elle.
Procéder par tirage au sort peut être «égal» sans être nécessairement «équitable», affirme de son côté Monique Brodeur, qui a été membre du comité-conseil sur la mise en œuvre des maternelles 4 ans à temps plein.
Selon les règles du ministère de l’Éducation, un centre de services scolaire «peut fixer des critères d’inscription additionnels lorsque le nombre de demandes d’inscription excède son offre», peut-on lire sur le web.
Dans plusieurs établissements scolaires, la demande est forte pour la maternelle 4 ans. Une école de la région de Québec a par exemple reçu trois fois plus de demandes que de places disponibles, a-t-on rapporté au Journal.
L’objectif du gouvernement Legault est de créer 2600 classes de maternelle 4 ans d’ici 2025-2026. À la rentrée, environ 1600 classes devraient être offertes aux quatre coins de la province.