EXCERPTS
La solution pour régler la pénurie du nombre de places dans les centres de la petite enfance (CPE) passerait-elle par une nationalisation globale du réseau des services de garde?
C’est l’idée que proposent différentes organisations au ministère de la Famille, dans des rapports qu’a obtenus Radio-Canada.
"Chaque enfant devrait avoir une place dans un CPE. C’est une question d’égalité, d’équité, et toute la société pourrait en bénéficier," croit Sonia Éthier, la présidente de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).
Ce qu’on propose est énorme, mais c’est la voie à suivre. Beaucoup de femmes pourraient encore revenir sur le marché du travail. Économiquement, ce serait bénéfique.
- Sonia Éthier, présidente de la CSQ
Selon le ministère de la Famille, près de 51 000 enfants sont en attente d’une place dans un service de garde. Mais il y en a également 24 000 autres, déjà inscrits, qui souhaitent changer d’établissement, pour quitter par exemple une garderie privée, non subventionnée, afin de rejoindre une installation subventionnée.
Pourquoi? En raison du coût, essentiellement. Depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Legault, les garderies privées ont nettement perdu de leur attrait, avec le retour au tarif unique dans les établissements subventionnés.
Les parents – qui bénéficient cependant d’un crédit d’impôt – paient jusqu’à 50 ou 60 $ par jour pour une garderie privée non subventionnée, dans certains secteurs montréalais, par rapport à 8,50 $ dans un CPE.
Projet de loi et livre blanc cet automne
Depuis la fin mai, différentes rencontres régionales ont été menées par le ministère de la Famille. Deux séances de consultations sont encore organisées cette semaine, avec des représentants syndicaux, des associations de CPE et garderies, des experts de l’enfance, mais aussi le milieu des affaires. À l’issue de ces discussions, un rapport complet sera réalisé par l’Institut du Nouveau Monde, qui mènera, selon le cabinet du ministre Mathieu Lacombe, au dépôt d’un projet de loi cet automne et la création d’un livre blanc. Ce dernier comprendra, explique-t-on, le plan d’action à suivre pour finaliser ce réseau des services de garde.
Plus de 20 000 places disponibles au privé?
Outre le coût quotidien, les exigences peuvent également varier entre le privé et les installations subventionnées. Le gouvernement effectue par exemple de nombreuses vérifications auprès de ces dernières. Celles-ci, qui bénéficient d'une subvention en fonction des places occupées, offrent aussi des salaires plus élevés aux éducatrices, comparativement aux garderies non subventionnées.
"Les intervenantes sont mieux formées, la qualité est présente. On ne fait pas de la garde d’enfants, mais un programme éducatif," affirme Valérie Grenon, la présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ).
Le but, ce serait d’avoir un réseau avec les mêmes critères de qualité pour tous.
Valérie Grenon, présidente de la FIPEQ
Pourtant, au cours de la dernière décennie, le nombre d’installations privées a explosé au Québec. Une étude de l’IRIS, publiée en 2019, évoquait un bond de 867 % en 10 ans.
À l’époque, le gouvernement libéral avait supprimé le tarif unique dans les services de garde subventionnés et le coût quotidien modulait en fonction des revenus des parents. Les écarts entre les deux services, en prenant en compte le crédit d’impôt, étaient ainsi bien moindres qu’actuellement.
"C’était une grave erreur du gouvernement précédent d’avoir laissé aller ce réseau et permett[re] le développement du privé," soutient Sonia Éthier, la présidente de la CSQ, qui peut désormais compter sur l’appui d’organisations défendant les garderies privées.
Aux yeux de ces dernières, la pandémie et le retour au tarif unique de 8,50 $ dans les CPE forment un mélange désastreux pour leur survie.
"Souvent, les parents vont dans les garderies privées non subventionnées par dépit, car il n’y a pas de place ailleurs. Mais dès qu’ils ont une place, ils partent," affirme Mario Ranallo, qui dirige le Rassemblement des garderies privées du Québec.
À l’heure actuelle, alors que le gouvernement souhaite créer dans les prochaines années 37 000 nouvelles places, près de 22 000 sont déjà disponibles dans ces installations privées, assure Mario Ranallo.
"Convertir ces installations avec des places subventionnées permettrait d’attirer plus de clientèle. Ces garderies ne sont pas pleines."
Mario Ranallo, président du Rassemblement des garderies privées du Québec
Sans changement, la situation devrait encore empirer, ajoute Marie-Claude Collin, présidente de la Coalition des garderies privées non subventionnées. On va devoir augmenter nos tarifs pour mieux payer les éducatrices. On est tannés de les voir partir vers les CPE.
"Un fossé s’est creusé entre ces deux milieux qui offrent le même service. Mais on ne veut pas charger 50 $ aux parents, ce n’est pas logique. On a une conscience sociale."
"C'est très problématique pour nous, c'est épouvantable," juge-t-elle.
Plus de 300 000 places au Québec
- Selon des données du ministère de la Famille, près de 307 000 places dans les services de garde existent actuellement au Québec.
- 97 326 en CPE (32 %)
- 47 789 en garderies subventionnées (16 %)
- 69 874 en garderies non subventionnées (23%)
- 91 604 en milieux familiaux subventionnés (30 %)
Quel coût?
Créer un large réseau public, accessible financièrement à tous, était le vœu de l’ex-première ministre Pauline Marois, à l’origine de la création des CPE en 1997. L’ancienne cheffe du Parti québécois a d’ailleurs rencontré à plusieurs reprises le ministre Lacombe ces derniers mois, qui aurait cependant, selon ses propres mots, "échoué."
Si le gouvernement Legault a déjà fait part de son intention de convertir plusieurs milliers de places existantes, nationaliser ce réseau aurait un coût trop élevé, glisse-t-on en coulisses.
Un avis que ne partagent pas la CSQ et la FIPEQ, qui chiffrent une telle mesure à "moins de 400 millions de dollars par année."
"C’est le premier maillon du système d’éducation," clame Sonia Éthier, qui réclame une revalorisation des grilles salariales pour les intervenants, afin d’attirer les étudiants vers cette profession et éviter les bris de services qui se multiplient.
"Il y a une combinaison de mesures à prendre, le gouvernement doit faire des efforts importants. Si on n’a pas d’intervenantes, on n’y arrivera pas," lance-t-elle.
En uniformisant ce réseau, "des femmes pourraient retourner sur le marché du travail. Tout le monde ne peut pas se payer une garderie à 60 $ par jour, poursuit Valérie Grenon. Tout le monde serait gagnant : les entreprises, les enfants et les parents du Québec."
Le gouvernement se montre prudent
Nationaliser le réseau n'est cependant pas la priorité de Québec, a-t-on confié à Radio-Canada.
"Toutes les propositions" seront étudiées, mais "tout nationaliser signifierait de modifier la forme du réseau de fond en comble," explique-t-on au sein du cabinet du ministre de la Famille.
"Les garderies non subventionnées sont importantes et font partie de la solution. C’est pour cette raison qu’on va les écouter dans les consultations, comme l’ensemble des partenaires," indique Antoine de la Durantaye, porte-parole de Mathieu Lacombe.
Notre but est de rendre accessible des places subventionnées pour les familles.
Antoine de la Durantaye, porte-parole du ministre de la Famille
En revanche, le gouvernement Legault ne ferme pas la porte à une conversion plus importante de garderies non subventionnées, pour permettre à davantage de parents de bénéficier d'un tarif plus abordable.
"Nous avons ciblé à ce moment les territoires où le taux de places subventionnées est en dessous de la moyenne provinciale," reprend-il, en parlant d'un plan qui verra le jour "étape par étape."